Lyon & le Japon : de la soie au sushi-train, une histoire passionnelle ?
Des métiers Jacquard au « soft power » culinaire
En 1872, trois tisserands du quartier Nishijin de Kyōto traversent l’Eurasie pour s’immerger plusieurs mois dans les ateliers lyonnais. Ils y apprennent à maîtriser le métier Jacquard, repartent avec un exemplaire de la machine, et amorcent ainsi la modernisation de la soierie japonaise. Cent cinquante ans plus tard, les échanges techniques se sont mués en un dialogue culturel permanent, qui va désormais de la fibre de soie au filet de saumon.
Festivals et scènes nippones
Chaque printemps et chaque automne, les drapeaux rouges et blancs envahissent les halls d’Eurexpo, la Japan Touch (édition Haru en mai, traditionnelle en novembre) a attiré plus de 45 000 visiteurs en 2024, occupant 25 000 m² et rassemblant 300 exposants venus de toute l’Europe. L’édition 2025, déjà annoncée pour les 17-18 mai, promet un programme d’animations renforcé autour du cosplay, des jeux vidéo et de la J-pop.
Hors salon, l’association Asiexpo anime la Maison des Cultures Asiatiques avec une bibliothèque de plus de 12 000 mangas, des cours de langue et des ateliers de dessin qui affichent complet chaque trimestre.
Gastronomie japonaise : une place forte lyonnaise
Dans la capitale des bouchons, la cuisine nippone a trouvé un second foyer. Un annuaire spécialisé recense aujourd’hui 126 restaurants japonais intra-muros, soit une densité comparable à celle du ramen à Paris ou du curry à Londres. Parmi eux, la chaîne leader du sushi en France, Sushi Shop aligne six comptoirs de Bellecour à Vitton et revendique une clientèle locale à 70 % grâce à la livraison ultra-rapide sur vélo cargo.
Cette densité encourage l’audace. Shiyo, inauguré en 2023 sous les voûtes du Grand Hôtel-Dieu, marie petits plats à volonté et design épuré façon ryokan, sa carte saisonnière associe toro-foie gras, brioche vapeur au miso de noix et crème glacée au yuzu fermenté. Sushi Way, de son côté, fait défiler ses makis sur un tapis roulant à trois niveaux superposés, un prototype développé à Osaka capable de traiter 600 assiettes par heure, record national hors Japon. Quant à la vénérable chaîne Matsuri, pionnière du kaiten-zushi hexagonal, elle a achevé en 2024 sa métamorphose : nouvel intérieur pop, mixologie sans alcool et playlist city-pop qui redonnent au concept son esprit festif d’origine.
Pour une expérience plus intime, Bloom Sushi propose sur un comptoir omakase de douze places un menu 100 % végétal rythmé par la fermentation maison (umeboshi de betterave, koji de champignon) et noté 4,8/5 sur les plateformes gastronomiques. Et, perché au troisième étage de la Part-Dieu, Bentomania Honten décline l’esprit du kaiseki en bentos raffinés : chaque boîte, numérotée, relate l’histoire d’un terroir nippon différent, du Tōhoku aux îles Yaeyama.
Innovation et recherche
La révolution se joue aussi hors des salles de restaurant. À l’INSA Lyon, le programme NoriCam explore depuis 2024 la culture de la porphyra dans les marais camarguais afin de réduire les importations de feuilles de nori, les premiers semis en bassin d’eau saumâtre s’inspirent directement des procédés décrits par l’Ifremer pour la culture contrôlée du nori.
Côté traçabilité, plusieurs start-up incubées à H7 déploient des blockchains à bas carbone : l’une d’elles s’appuie sur le modèle pionnier de Carrefour, qui suit déjà le saumon frais du filet au comptoir.
Le rendez-vous de tous ces acteurs est le Sirha Lyon. L’édition 2025 a battu des records : 465 dossiers déposés aux Sirha Innovation Awards, 630 nouveautés exposées et un Start-Up Village passé de 30 à 60 jeunes pousses. Parmi les 13 lauréats, trois solutions concernaient directement les sushis : un riz étuvé basse température, un couteau à lame intelligente qui mesure le pH du poisson et une barquette compostable signée d’un labo lyonnais.
Arts, langue et symboles
Les liens nippo-lyonnais débordent largement l’assiette. Sur les berges du Rhône, l’artiste portugais Add Fuel a recouvert en 2025 un mur de 50 mètres d’un motif mêlant céramique azulejo et sakura, clin d’œil aux tisserands d’antan. Rue Pasteur, une fresque plus ancienne juxtapose cerisiers en fleurs et traboules, rappelant en trompe-l’œil la mémoire des canuts.
À l’Opéra, la saison 2024-2025 a vu l’arrivée du danseur japonais Ryo Shimizu au Ballet de Lyon, il a brillé dans Untitled 1 et Last Work d’Ohad Naharin, apportant une physicalité inspirée du butō. Sur la scène underground, le festival Peinture Fraîche a consacré un week-end entier aux illustrateurs manga, tandis que la Fête des Lumières 2023 comptait 32 installations, dont Life Before Life de Pia Vidal, inspirée des lanternes toro et de la pâtisserie wagashi.
Même la langue japonaise s’invite au quotidien : le café-manga d’Asiexpo diffuse chaque mercredi soir un club de conversation, et la bibliothèque municipale célèbre l’automne 2025 avec le cycle « Ohayo le Japon ! », mêlant conférences sur le Go et concours de haïkus.
De la mécanique d’un métier Jacquard aux arcanes d’une blockchain alimentaire, Lyon n’a cessé de tisser sa trame franco-japonaise. Et si le saumon cru a remplacé le fil de soie pour incarner la modernité, c’est toute la ville qui, à force de festivals, d’assiettes et de fresques, se retrouve aujourd’hui brodée d’idéogrammes.