Lyon, écartée de la grande alchimie du e-liquide
Lyon a longtemps manié les acides, les colorants et les parfums, elle a formé générations d’ingénieurs qui savent distiller, purifier, analyser. Pourtant, quand on a vu fleurir aux 4 coins de la France les petites bouteilles d’e-liquide, la capitale des Gaules s’est retrouvée simple spectatrice. Au fil de la dernière décennie, l’Auvergne-Rhône-Alpes a certes planté quelques ateliers de remplissage, mais les locomotives nationales se sont installées loin du Rhône.
Un passé lourd de chimie, un avenir qui glisse entre les doigts
Lyon a longtemps manié les acides, les colorants et les parfums, elle a formé générations d’ingénieurs qui savent distiller, purifier, analyser. Pourtant, quand la France a vu fleurir ses bouteilles d’e-liquide, la capitale des Gaules s’est retrouvée simple spectatrice. Au fil de la dernière décennie, l’Auvergne-Rhône-Alpes a certes planté quelques ateliers de remplissage, mais les locomotives nationales se sont installées loin du Rhône.
Depuis la fin du XIXᵉ siècle, les usines lyonnaises transforment le soufre, la glycérine ou les essences naturelles. Arkema, Solvay, l’Institut Français du Pétrole (aujourd’hui IFPEN) ont modelé un environnement où les mots « procédé », « traçabilité » et « analyse » résonnent comme une seconde langue.
Les bancs de l’université forment encore chaque année des étudiants en pharmacologie et tabacologie capables d’évaluer les risques d’un arôme chauffé à deux cents degrés, tandis qu’une école d’ingénieurs mobilise ses toxicologues sur l’impact de la vape chez les adolescents. Un institut de recherche expose in vitro des cellules pulmonaires à des bouffées pour décortiquer chaque composé volatile. Tout semble réuni pour qu’un fabricant pose ses cuves à Gerland ou à Saint-Fons, il n’en est rien.
Les champions français ont poussé ailleurs : de Niort à l’Allier
À Niort, Bioconcept Pharma aligne environ deux cent trente recettes d’e-liquides de qualité, toutes certifiées Origine France Garantie : l’entreprise doit sa réputation à une production rassemblée sur un seul site et à une base entièrement végétale.
En Auvergne, à Bellerive-sur-Allier, Flavour Power revendique plus de deux cent cinquante références et un label identique. Ces deux maisons, comparables par la largeur de leur catalogue, illustrent la vitalité d’un marché qui a doublé depuis le début des années 2020, mais elles prospèrent loin du couloir rhodanien.
Des tentatives régionales… hors de la métropole
À Andrézieux-Bouthéon, Arômes & Liquides mêle entrepôt logistique et lignes de remplissage dédiées à ses propres gammes DIY, expédiant des dizaines de milliers de colis chaque mois.
Un laboratoire analytique du Puy-de-Dôme réalise pour toute l’Europe les dosages nicotiniques et les chromatographies qui garantissent la conformité des flacons.
Le laboratoire Vapote Style, PME familiale, conditionne arômes et bases quelque part entre Vienne et Valence, à l’abri des regards.
Ces ateliers, discrets, témoignent d’un savoir-faire disséminé, mais aucun ne se situe dans le périmètre lyonnais. Les raisons sont plus prosaïques que techniques : loyers élevés, friches rares, priorités tournées vers la chimie lourde plutôt que vers le conditionnement liquide, et absence de dispositifs régionaux ciblant la vape quand, en 2014, la directive européenne TPD (Tobacco Products Directive) imposait de coûteux investissements en traçabilité.
Lyon, reine de la distribution plutôt que de la production
L’économie de la vape lyonnaise brille surtout côté entrepôts.
À Corbas, Kumulus Vape gère onze mille produits et a bouclé l’exercice 2024 sur un chiffre d’affaires d’environ 60 millions d’euros. Ses camions irriguent sept mille boutiques françaises et une plateforme B-to-B. À quelques kilomètres, des réseaux de magasins spécialisés affluent, profitant de la position logistique de la métropole au carrefour des autoroutes nord-sud.
Lyon héberge donc le commerce, pas l’alambic.
Le potentiel scientifique reste intact
Les laboratoires universitaires ne chôment pas. Des chercheurs suivent depuis dix ans la toxicité comparative de la vapeur et de la fumée, tandis qu’un cluster régional accompagne plusieurs centaines d’entreprises de santé dans leurs projets d’innovation, l’intégration d’un projet « clean vaping » y trouverait un écho naturel.
Les capacités analytiques et les compétences réglementaires existent, elles demandent seulement un industriel prêt à transformer un savoir académique en chaîne de production.
Quatre verrous à faire sauter
Coût foncier : trouver dix mille mètres carrés proches d’un réseau autoroutier sans grever la marge relève du casse-tête.
Perception sectorielle : la chimie lyonnaise s’imagine plus volontiers produire des résines techniques que de la glycérine parfumée.
Concurrence des régions équipées : il est plus simple d’agrandir un atelier existant en Nouvelle-Aquitaine que d’en bâtir un à Vénissieux.
Choix des financeurs : les acteurs régionaux n’identifient pas la vape comme filière stratégique et préfèrent miser sur la bioproduction pharmaceutique classique.
Peut-on encore inverser la tendance ?
Oui, si un acteur décide d’adosser son projet à l’écosystème local : récupérer une halle chimique à Feyzin, installer des cuves inox et des salles blanches, mutualiser les contrôles chromatographiques avec un laboratoire auvergnat, collaborer avec un cluster régional pour décrocher des soutiens publics, et s’appuyer sur Kumulus Vape pour réduire le dernier kilomètre logistique. Peexweb, avec son entrepôt de Saint-Priest et son laboratoire en gestation, pourrait-il incarner cette audace industrielle ?
Lyon possède la science, la logistique, la main-d’œuvre et les diplômés, il lui manque encore l’audace industrielle qui transformerait ses lignées de chimistes en maîtres assembleurs de saveurs. Tant que cette pièce manquera, la capitale historique de la chimie verra passer les nuages parfumés sans jamais en empocher la valeur.